Publié le 3 novembre 2016 | par Rédaction

En principe “utile” à l’activité, un utilitaire échappe à la plupart des taxes qui frappent d’autres véhicules de l’entreprise, réputés, par défaut, “de tourisme”.

Le véhicule utilitaire léger (VUL) peut sembler bénéficier d’un statut fiscal privilégié : TVA récupérable, pas de TVS, pas de malus, pas de plafond d’amortissement et, a priori, pas d’avantage en nature tant que l’usage personnel peut être considéré comme négligeable. En fait, cette fiscalité s’apparente logiquement à celle de n’importe quel outil de travail et le “privilège” ne s’apprécie que de manière relative, en regard d’une fiscalité particulièrement contraignante pour les autres véhicules légers, dits par défaut “de tourisme” (quand bien même ils rouleraient jour et nuit pour un usage exclusivement professionnel).

Utilité, conception et usages multiples

Pour bénéficier du statut fiscal de VUL, il faut en effet que le véhicule soit utilisé pour les besoins des opérations taxées de l’entreprise ce qui en principe exclut de fait l’usage personnel, mais il faut aussi qu’il possède des caractéristiques techniques spécifiques de conception et de construction qui le destinent au transport de marchandises et pas au transport de personnes. Et nous verrons plus loin qu’entre directives européennes et législation française rien n’est vraiment simple.

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Notamment parce qu’entre transport de personnes et transport de marchandises, il existe par exemple des véhicules à usages multiples qui peuvent être homologués N1 selon la directive 2007/46/CE (donc conçus et construits pour le transport de marchandises), mais que la législation française considèrera, s’ils ont plusieurs rangées de sièges, comme “destinés au transport de passagers et donc fiscalement de tourisme au sens l’article 1010 du CGI”. Certains SUV et gros monospaces qui avaient pu en 2009, lors de la transposition de la directive 2007/46/CE dans le droit français, s’affranchir de TVS en jouant sur la répartition de charge dédiée aux passagers et aux marchandises, ont été réintégrés dès 2010 dans le champ de la fiscalité ordinaire.

Seuls les pick-up à double cabine en dépit de leurs cinq places (en deux rangées de sièges), bénéficient aujourd’hui de l’exemption de TVS, l’administration fiscale ayant convenu que leur plateforme de chargement est séparée de l’habitacle et donc qu’à défaut de compartiment unique, ils ne répondent pas à la définition de “véhicules à usages multiples”… Mais l’exemption de TVS, n’entraîne pas systématiquement le droit à déduction de TVA, loin s’en faut (voir ICI article “du nouveau pour les pick-up”).

Provisoire depuis 40 ans

Pour la TVA, la 6e directive européenne 77/388/CEE en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, a ouvert depuis 40 ans le droit à déduction quand : “les biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations taxées” et quand “ils ne sont pas assimilables à des dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation”. Certains pays voisins ont fait une transposition extensive de cette directive dans leur droit national et pratiquent la récupération de TVA sur tous les véhicules de l’entreprise, y compris “de tourisme”, et sans plus de contrainte concernant leur caractère éventuellement luxueux.

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Ils ont ainsi boosté un marché domestique “haut de gamme” qui a soutenu leur compétitivité à l’exportation. D’autres… n’ont pas fait le même choix !

La directive 77/388/CEE, qui posait les bases de la fiscalité des échanges intra-communautaires, prévoyait aussi une “clause de gel“, qui autorisait les États à maintenir les exclusions existantes jusqu’à l’adoption d’une nouvelle directive harmonisant ces mesures d’exclusion. La France a pour sa part, gelé un système différencié ouvrant droit à déduction pour les VUL et en excluant de ce droit à déduction les VP (véhicules particuliers) et désormais par extension tous les véhicules dits “de tourisme au sens de l’article 1010 du CGI”. C’était provisoire, et c’est toujours d’actualité 40 ans plus tard.

TVA : droit irréversible

L’actualité de la directive 77/388/CEE se retrouve aussi au cœur de la polémique “diesel”. En effet si sa clause de gel avait permis aux Etats de figer des exclusions au droit de déduction… elle les empêchait aussi d’en créer de nouvelles. Ainsi la récupération de la TVA du gazole (à 100% pour les VUL et à 80% pour les VP) qui agace tant les écolos anti-diesel est, elle aussi, figée par le droit européen. Madame Royal peut bien donner le change à son électorat en considérant le 22 juin que “l’avantage de TVA dont bénéficient les entreprises sur le diesel n’est plus justifiable” pour prétendre le “neutraliser… et le résorber sur 3 ans”, elle n’ignore pas les limites de son propos.

D’une part, l’horizon trois ans comporte pour son ministère quelques incertitudes électorales et d’autre part, elle sait parfaitement que, pour avoir déjà tenté de supprimer ce droit à récupération de la TVA du gazole, en 1998, la France avait été condamnée par la CJCE (14 juin 2001, C-345/99). Donc pour “résorber l’écart”, on ne voit guère d’autre issue que de plaider la récupération de TVA… aussi sur l’essence.

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Mesure à laquelle s’était opposé voici quelques mois encore, lors du vote de la loi de finances pour 2016, le représentant du gouvernement, en la circonstance le secrétaire d’État au budget, Christian Eckert que l’on sait soucieux de ses prérogatives. Le gouvernement sera-t-il unanime cet automne lors du vote de la loi de finances 2017, pour ouvrir le droit à déduction à l’essence, c’est à suivre. La calculette pourrait bien arbitrer le débat car compte tenu du prix au litre et de la surconsommation il y aurait plus de TVA à récupérer pour les entreprises avec l’essence qu’avec le gazole et donc moins de recettes à encaisser pour l’Etat.

Certes l’essence paie davantage de TIPCE, mais les recettes de TVA et celles de la TIPCE n’ont pas les mêmes affectations… De plus, pour les raisons évoquées plus haut, l’ouverture d’un droit à déduction serait irréversible, d’où la précaution de Madame Royal qui entend procéder par étapes (“sur trois ans”).

L’exception n’est pas la règle et vice versa

Si l’environnement juridico-fiscal du VUL semble compliqué, ne sombrons pas pour autant dans la paranoïa. Les millions des camionnettes d’artisans, de commerçants, ou de société de messageries ou de services après-vente, tout comme le plateau-benne de l’entreprise générale de bâtiment, le fourgon-atelier du plombier chauffagiste, ou le camion du pizzaïolo ambulant, sont présumés légitimement “utilitaires” dès lors qu’ils “répondent aux besoins des opérations taxées de l’entreprise” et qu’ils sont affectés exclusivement à l’usage professionnel.

Idem pour les “VU dérivés de VP”, ces berlines “à deux places”, dites aussi “version affaires” “version entreprise“ ou “version société”, que l’on ampute de leur banquette arrière et des ceintures de sécurité afférentes, pour y substituer un plancher fixe. Tous ces véhicules VU ou VU dérivés de VP, peuvent alors récupérer la TVA et bénéficier du statut fiscal de VU sous condition d’usage professionnel. Même si personne n’ignore que l’entrepreneur ou son collaborateur se détourne parfois du trajet domicile – chantier pour apporter des fleurs à sa vielle maman, ou pour acheter son pain sur le chemin du retour, l’administration fiscale ne le soupçonnera pas systématiquement de partir en vacances en famille avec le plateau-benne ou d’avoir un usage personnel immodéré.

Pour les “VU dérivés de VP”, il faut savoir raison garder et ne pas chercher à “dériver” n’importe quoi en VU. Si les activités de l’entreprise s’exercent par exemple dans des carrières, des chantiers de génie civil, des forêts ou des marécages, l’adaptation d’un SUV 4×4 en “deux places” peut trouver une justification professionnelle, mais à défaut d’activité en terrain difficile, la logique d’une fiscalité “utilitaire” avantageuse devient discutable et le risque de contentieux augmentera avec le standing de l’engin. Bien que le véhicule n’ait que deux places et une carte grise de VU (dérivé de VP), l’administration fiscale risquera fort d’assimiler la “dérivation” d’un gros SUV luxueux en VU à une optimisation par trop optimiste.

Dans ce genre de situation, il sera souvent préférable de ne pas chercher les complications et d’assumer ses menus plaisirs avec un vrai SUV de tourisme à cinq ou sept places, soumis à TVA, à TVS, à malus, à plafond d’amortissement et à avantages en nature. La République est généreuse dès lors que l’on reste attaché au bon vieux principe hérité des Cordeliers qui veut que “chacun contribue en raison de ses facultés et de sa fortune” aux charges de l’État.

Le fameux scooter des neiges

Il est vrai que Conseil d’État a reconnu droit à déduction de TVA même pour des scooters des neiges (arrêt du 25 novembre 2009, N°319649) mais le recours était engagé par une société qui devait intervenir régulièrement à flanc de montagne pour entretenir des téléskis… Un carreleur de la Beauce qui achèterait le même scooter des neiges pour aller pêcher la truite fario dans les lacs alpins, serait bien inspiré de ne pas y voir jurisprudence, et de financer, TTC, sa “dépense de divertissement” sur ses deniers personnels.

L’interaction de considérations techniques de “conception et de construction” du véhicule avec des considérations d’usage “pour les besoins des opérations taxées” conduit l’administration fiscale à devoir préciser régulièrement une multitude de cas d’espèce (tels les corbillards, les ambulances, les VTSL, les autocars, les autobus, les véhicules à cabine approfondie à ne pas confondre avec ceux à double cabine, etc,). On aimerait plus de limpidité, des critères exclusivement factuels et des limites indiscutables entre le possible et l’excessif. Mais le grand soir de la simplification fiscale n’est pas pour demain, il faut donc se satisfaire de la complexité et retenir (au moins) quatre points essentiels :

Quatre points essentiels

1) la directive 77/388/CEE, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires a ouvert droit à déduction de TVA quand : “les biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations taxées”. Tout en excluant les “dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation” Le risque de devoir justifier l’usage effectif est donc bien constamment sous-jacent. Quant au “luxe”, allez savoir où cela commence… Nous serons tentés de considérer même si aucun texte juridique ne valide cette formule que le risque de complications pour les “VU dérivés de VP” est directement proportionnel à la part de leur prix qui dépasse 18300€ car c’est le plafond d’amortissement fixé par la loi pour les VP avant qu’ils n’entrent dans les “dépenses somptuaires”.

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Et bien évidemment, en cas d’homologation VU, c’est aussi la non réintégration de l’excédent dans le bénéfice imposable qui fait tracas. Toutefois le prix du véhicule n’est pas en lui-même un critère formel, car par exemple le camion-étal frigorifié utilisé par le charcutier pour vendre sur les marchés peut coûter aussi cher qu’un SUV luxueux, voire plus, mais son coûteux aménagement restreint davantage les possibilités d’usage personnel qu’il ne les favorise.

2) La règle générale rappelée dans le Bulletin Officiel des Finances Publiques Impôts du 18 novembre 2013 (voir sur site impots.gouv.fr ) énonce que : “les véhicules utilitaires tels que les camionnettes ou les fourgons conçus pour le transport de marchandises ne sont pas exclus du droit à déduction, y compris lorsqu’ils sont équipés d’une cabine approfondie comprenant, le cas échéant, une banquette. Et que le dispositif d’exclusion du droit à déduction “ne s’applique pas non plus aux véhicules dits dérivés VP qui ne comportent que deux places, également commercialisés sous les appellations “société”, “affaire” ou “entreprise”.

L’utilisation “pour les besoins des opérations taxées” d’une petite citadine de segment B en “version deux places” est assez facile à justifier dans la plupart des entreprises, mais on ne saurait pour autant en déduire que l’horizon est parfaitement dégagé. Nos plus anciens lecteurs se souviennent peut-être d’une affaire que nous avions évoquée en 2005 où un patron de TPE se voyait poursuivi pour avoir utilisé, quelques week-ends à la belle saison, la “Punto deux places” de sa société pour se rendre à sa maison de campagne plutôt que sa voiture personnelle. Dans la foulée on lui réclamait et la TVA de la Punto et la TVS afférente sur plusieurs années. Fort heureusement ce dossier fut pudiquement enterré, mais il suffît à rappeler le risque encouru en cas de dérogation au principe d’exclusivité de l’usage professionnel d’un VU.

3) Il n’est d’ailleurs pas que l’administration fiscale qui se soucie de l’exclusivité de l’usage professionnel du VU. L’URSSAF est aussi très attentive aux débordements d’usage personnel car bien évidemment s’il y a usage personnel d’un véhicule d’entreprise, fut-il utilitaire, l’URSSAF y voit un avantage en nature et donc matière à cotisations sociales. Si elle tolère (sous conditions restrictives) le trajet domicile-travail du VU, elle conditionne la bienveillance au fait que le chef d’entreprise notifie – par écrit – à ses collaborateurs que l’usage du véhicule utilitaire doit rester exclusivement professionnel. Le contrôle de la stricte application de cette notification écrite n’est pas dévolu au chef d’entreprise (du moins ce n’est pas dit explicitement dans les textes) d’ailleurs l’on ne voit guère comment il pourrait suivre chaque matin chaque collaborateur pour s’assurer qu’il ne dépose pas un enfant à l’école ou chaque soir pour vérifier qu’il ne s’arrête pas pour acheter une salade.

Il n’en reste pas moins que le chef d’entreprise devra occasionnellement gérer la demande du collaborateur irréprochable qui souhaite emprunter très exceptionnellement le fourgon un week-end pour aller acheter une cuisine suédoise ou pour installer la chambre d’étudiant de son grand fiston qui va entrer à l’université. Il est alors essentiel que le fourgon soit assuré sans restriction, que… la note écrite d’interdiction soit affichée au tableau de service et enfin que la chose se passe “à l’insu de votre plein gré” car la stricte application des règles impliquerait un refus.

4) Il est aussi utile de considérer que la législation et la réglementation résultent d’un empilement hasardeux de textes rédigés de manière plus ou moins empirique qui disent parfois tout et le contraire. En conséquence le contribuable n’est jamais garanti de rien. Ainsi on peut lire dans un document de l’administration fiscale (BOI-TVA-DED-30-30-20-20131118) “Il est insisté sur le fait que dans le domaine automobile, (…) le critère déterminant reste de connaître pour quel usage l’engin a été conçu et non quel en est son usage effectif.” Et dans une réponse ministérielle issue de la même administration : “la catégorie dans laquelle un véhicule a été réceptionné par le service des Mines est une indication qui ne saurait à elle seule faire échec aux critères d’exclusion.”

Jean-Pierre DURAND

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